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Le photographe de Mauthausen (Salva Rubio)

note: 4Photographier l'enfer Les bibliothécaires - 10 mars 2018

En 1946, Francisco Boix, photographe espagnol, membre du parti communiste et survivant du camp de concentration de Mauthausen, témoigne au procès de Nuremberg. Des photos prises puis cachées dans le camp lors de son emprisonnement lui permettent d’identifier et de faire condamner des officiers nazis.

Ce roman graphique est un hommage rendu par Salva Rubio et Pedro J. Colombo à un de ces oubliés de la Seconde Guerre mondiale au parcours hors du commun : issu d’une famille sympathisante de gauche, Francisco Boix fuit l’Espagne après la prise du pouvoir par Franco. Il rejoint alors les forces armées françaises et est capturé en 1940 par le Troisième Reich. Son passé républicain puis son engagement communiste en font immédiatement un double prisonnier politique envoyé en sûreté au camp « de travail » de Mauthausen, en Autriche : un enfer dont Boix s’efforcera de conserver les traces tout au long de sa captivité.

Ancien photographe de profession, il est en effet affecté au service d’identification du camp où il développe les photos des exécutions prises par un officier SS particulièrement fasciné par la mort, et qu’il sera parfois contraint d’assister dans l’immortalisation des scènes macabres. Il fait alors plusieurs copies des pellicules qu’il dissimule un peu partout dans le camp, et parviendra même à en faire sortir quelques-unes.

Enrichi d’un remarquable dossier avec quelques-unes de ces fameuses photos à l’appui (âmes sensibles s’abstenir), ce roman graphique témoigne des tentatives du photographe de mettre des images sur l’indicible et la barbarie.
Il lève également le voile sur le statut difficile de ces survivants espagnols qui, à la fin de la guerre, ne trouvent plus leur place : communistes pour une grande majorité d’entre eux, il leur est impossible de retourner en Espagne où Franco les attend de pied ferme. Et parce qu’ils ont survécu à l’enfer, ils suscitent la méfiance dans les pays alliés et sont considérés comme des collaborateurs par l’Union Soviétique.
Le photographe de Mauthausen interroge donc l’engagement, qu’il soit politique ou artistique, ainsi que ses limites, dans l’élaboration de ce difficile travail de mémoire.
Un roman graphique extrêmement fort.
Vv